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Blog de liaison interdépartemental pour le Toulousain et les Pyrénées orientales de la fédération interprovinciale du Grand Sud-Ouest de l'Action française

Rivarol, le Voltaire de la Contre-Révolution, vu par Michel Vivier

 31 Lisez A.F

 

 

Nous donnons ci-dessous à nos fidèles lecteurs un passionnant article, paru nagère dans Aspects de la France (l'actuelle Action Française 2000), de l'historien d'Action française Michel Vivier, décédé le 1er septembre 1958, il y a tout juste 57 ans. Il traite de Rivarol, le premier polémiste à avoir combattu par la plume et l'esprit le mouvement de 1789, qui a ravagé notre pays et le monde, et dont nous continuons de subir les conséquences politiques et intellectuelles. Il a semblé à la section de Toulouse & Haut-Languedoc de l'Action française que c'est une juste manière d'honorer la mémoire de ce grand homme trop tôt disparu que de faire connaître aux jeunes générations dépourvues de culture historique et politique ses aperçus fulgurants sur une grande figure royaliste. Puissent-ils en profiter?

 

A.F.-Toulouse & Haut-Languedoc

 

 

"Il y a deux cents ans naissait Rivarol

 

"Il y a dans Les Dieux ont soif une page émouvante et très belle : celle où France réunit dans la même charrette qui les conduit à l’échafaud le P. Longuemare, un Barnabite coupable d’avoir célébré la messe, Anaïs, une fille galante qui au nez de la police a crié « vive le roi », et un ancien traitant, le sieur Brotteaux des Ilettes, athée de bonne compagnie et lettré délicat qui eut trop de fortune et garde trop d’esprit pour n’être pas suspect aux amis de Robespierre. Et tandis que roule la charrette, le Barnabite récite les prières des morts, la fille toise avec mépris la populace, fière qu’elle est de mourir comme une reine de France, et Brotteaux, murmurant les vers familiers de son cher Lucrèce, admire la gorge blanche d’Anaïs et se prend à regretter la lumière du jour.

"Le symbole est fort clair. Par ces trois personnages, France figure les trois crimes également détestables que la Terreur se devait de châtier : la religion, le plaisir et l’esprit. Que le catholicisme et la révolution se soient jugés mutuellement incompatibles, c’est chose connue, encore que fort gênante pour les démocrates-chrétiens. Mais ce qu’on sait moins, c’est qu’avant de dresser contre elle les doctrinaires du trône et de l’autel, la Révolution avait provoqué l’hostilité railleuse des meilleurs esprits du XVIIIe siècle : l’esprit des salons, le bon goût, la douceur de vivre sont les aimables Muses qui inspirent d’abord les porte-parole de la Réaction. L’enfant terrible des Temps Modernes, le juif Bernard Franck - qui a du talent à revendre et de la présomption plus encore – croit savoir que la contre-révolution a commencé dans nos lettres par de « grandes machines » avant de finir par les flèches ironiques des « hussards » d’à présent. Il suffit pour lui répondre de citer un nom : Rivarol.

 

*

 

"Né le 26 juin 1753 et ne survivant qu’une année à son siècle, Rivarol en représente à merveille les mœurs et l’esprit. Il est de son temps par l’ampleur et la variété de ses connaissances : « Qu’ai-je besoin, disait un grand seigneur, de souscrire à l’Encyclopédie. Rivarol vient chez moi. » Avec un Fontanes, un Joubert, un Chénier, il est « de ces esprits pleinement intelligents que la poésie touche, qui ont le goût de la perfection et le sens de la lumière » et grâce auxquels, dit encore Thibaudet, le XVIIIe siècle finissant tend vers un atticisme véritable. Homme de salons, préférant la parole à la plume et célèbre autant par ses bons mots que par ses œuvres, il est aussi le type même du lettré voyageur et cosmopolite comme il en circule tant à travers l’Europe policée de ce temps-là. Cet écrivain français d’origine italienne voit son premier ouvrage couronné par l’Académie de Berlin. Il se marie avec une Anglaise. Plus tard, il émigrera en Belgique d’abord, puis à Londres, ensuite à Hambourg, et c’est à Berlin qu’il mourra. Nul pourtant n’est plus Français par la culture et par le goût que l’auteur du Discours sur l’Universalité de la Langue française, une œuvre qu’on ne pourrait plus écrire aujourd’hui, l’universalité de notre langue n’étant pas l’une des moindres victimes de la démocratie…

"Ce Discours, le Grand Larousse ne le mentionne même pas dans les quatre colonnes qu’il consacre à son auteur. Raison de plus de le citer ici, d’autant qu’écrit en 1784, il n’est pas sans esquisser déjà, cinq années avant la crise révolutionnaire ce que sera pendant la tourmente la politique de Rivarol. J’en veux pour exemple les fortes pages où il montre comment l’ordre royal est à l’origine du rayonnement de nos lettres et comment sous Louis XIV « la maturité du langage et celle de la nation arrivèrent ensemble ».

 

« En effet, quand l’autorité publique est affermie, que les fortunes sont assurées, les privilèges confirmés, les droits éclaircis, les rangs assignés ; quand la nation heureuse et respectée jouit de la gloire au dehors, de la paix et du commerce au dedans ; lorsque dans la capitale un peuple immense se mêle toujours sans jamais se confondre : alors on commence à distinguer autant de nuances dans le langage que dans la société ; la délicatesse des procédés amène celle des propos ; les métaphores sont plus justes, les comparaisons plus nobles, les plaisanteries plus fines ; la parole étant le vêtement de la pensée, on veut des formes plus élégantes. C’est ce qui arriva aux premières années du règne de Louis XIV. Le poids de l’autorité royale fit rentrer chacun à sa place ; on connut mieux ses droits et ses plaisirs ; l’oreille, plus exercée, exigea une prononciation plus douce ; une foule d’objets nouveaux demandèrent des expressions nouvelles ; la langue française fournit à tout, et l’ordre s’établit dans l’abondance. »

 

"Autre belle page, le portrait de Louis XIV. Non que Rivarol soit idolâtre du Grand Roi : « Il n’avait, croit-il, ni le génie d’Alexandre, ni la puissance et l’esprit d’Auguste. » Et pourtant, par son règne, par son œuvre, par son influence, il les égale tous deux. Voyez avec quelle justesse et quel charme Rivarol nous montre en lui l’incomparable animateur des lettres et des arts : « Il fut le véritable Apollon du Parnasse français ; les poèmes, les tableaux, les marbres ne respirèrent que par lui. Ce qu’un autre eut fait par politique, il le fit par goût. Il avait de la grâce ; il aimait la gloire et les plaisirs ; et je ne sais quelle tournure romanesque qu’il eut dans sa jeunesse remplit les Français d’un enthousiasme qui gagna toute l’Europe… » Mais il faudrait tout citer :on verrait que Rivarol rend à Louis XIV une justice que trente ans plus tard bien des ultras lui refuseront : Chateaubriand sera passé par là…

 

*

 

"Dès qu’éclate la Révolution, Rivarol se déclare contre elle. D’autres, qui lutteront contre la Terreur sont d’abord séduits par les idées libérales : c’est le cas d’un Chénier. Mais Rivarol n’est point de ces modérés qui opposeront Quatre-Vingt-Treize à Quatre-Vingt-Neuf, ni la démagogie à la démocratie. Il sait que « tout philosophe constituant est gros d’un Jacobin » et dès la première heure il entreprend la lutte. Oui, dès les débuts de la Constituante, avant même la prise de la Bastille. On cite parfois l’Anglais Burke comme le premier écrivain de la Contre-Révolution. Rivarol, à bon droit, revendique la priorité, et dans uns lettre qu’il adresse en 1791 au frère de notre auteur, Burke écrit : « J’ai vu trop tard pour en profiter les admirables annales de M. votre frère ; on les mettra un jour à côté de celles de Tacite. Je conviens qu’il y a une grande ressemblance dans notre manière de penser ; cet aveu dût-il vous paraître aussi présomptueux que sincère, si j’avais vu ces annales avant que j’écrive sur le même sujet, j’eusse enrichi le mien de plusieurs citations de ce brillant ouvrage, plutôt que de m’aventurer d’exprimer à ma manière les pensées qui nous sont communes. »

"Tandis qu’il rédige le Journal Politique National, ces « annales » que Burke admire, Rivarol continue de fréquenter salons et cafés littéraires. Avec son fidèle ami le jovial Champcenetz, avec Mirabeau-Tonneau, le frère de l’autre, buveur et ferrailleur dans égal, avec Montlosier, Ruhlière, d’autres encore, il fonde sous les arcades du Palais-Royal « La Tasse de café sans sucre », cercle joyeux où l’on fait débauche d’autant d’esprit que de victuailles et de vin. Introduit dans ce bruyant cénacle, Peltier propose de créer un nouveau journal qui mette la Révolution en épigrammes et en caricatures. Le projet est adopté et le 2 novembre 1789 paraît le premier numéro des Actes des Apôtres. Cette nouvelle Satyre Ménippée fut de loin la feuille la plus spirituelle qui parût sous la Révolution et ses joyeuses férocités faisaient encore cinquante plus tard le scandale du « girondin » Lamartine : « Si la Cour, l’Eglise et les ministres qui nourrissaient cette feuille de leurs subsides (?) avaient pour but de faire bouillonner jusqu’au débordement les vengeances de l’anarchie, elles n’auraient inventer un feu plus actif et plus âcre que les Actes des Apôtres. » Aujourd’hui encore les manuels républicains dénoncent vertueusement les calomnies et les violences de la feuille royaliste, et joliment impartiaux, la logent à la même enseigne que l’Ami du Peuple et le Père Duchesne. Il y a toutefois cette légère différence que les Actes des Apôtres n’ont jamais fait guillotiner personne, sinon leurs propres rédacteurs.

"On se tromperait d’ailleurs si l’on ne voyait dans le fameux journal qu’un pamphlet satirique. Les « articles sérieux » n’y manquent point et ceux-ci sont souvent remarquables de lucidité. A l’équipe joyeuse qui multiplie épigrammes et parodies se sont joints des publicistes plus graves : un Clermont-Tonnerre, un Lauraguais, un Langeron. A l’occasion, Suleau donne un article - François Suleau qui le 10 août va périr victime de l’immonde Théroigne de Méricourt, furie populaire en laquelle peuvent se reconnaître toutes les Pasionarias de la Démocratie… Bref, dès la fin de 89, les « Apôtres » ne sont pas moins de quarante-cinq et ils groupent au service d’une même cause perdue les talents les plus divers, voire les plus opposés. Mais Rivarol, sans conteste, les domine tous. Et s’il excelle dans l’art du pamphlet, il est bien plus et bien mieux qu’un pamphlétaire à la mode.

 

*

 

"Rivarol politique c’est l’anti-Rousseau et c’est l’anti-Saint-Just. Nul ne fut moins dupe du jargon vertueux des réformateurs égalitaires : « Ce n’est point le peuple, ce ne sont point les pauvres au nom desquels on a fait tant de mal qui ont gagné la révolution ; vous le voyez : la misère est plus grande, les pauvres plus nombreux et la compassion est éteinte (…) Que peuvent donner des riches opprimés à des pauvres révoltés ? On a renversé les fontaines publiques sous prétexte qu’elles accaparaient les eaux, et les eaux se sont perdues.

"Nos philosophes répondent que les pauvres, qui dorénavant prendront tout, ne demanderont plus rien. Mais où trouveront-ils de quoi prendre, à moins d’un massacre général de tous les propriétaires ? Et alors, en poussant un tel système, il faudra donc que, de génération en génération, les pauvres massacrent toujours les riches, tant qu’il y aura de la variété dans la possession ; tant qu’un homme cultivera son champ mieux qu’un autre ; tant que l’industrie l’emportera sur la paresse ; enfin jusqu’à ce que la terre inculte et dépeuplée n’offre plus aux regards satisfaits de la philosophie que la vaste égalité des déserts et l’affreuse monotonie des tombeaux. »

"Cet adversaire des Jacobins n’est pas pour autant libéral. On a dit que vivant trente années plus tard il eût écrit dans les Débats. Voire… Lisez plutôt cette pertinente critique des « Droits de l’Homme » tels qu’ils sont « déclarés » par l’Assemblée Constituante : « Dire que tous les hommes naissent et demeurent libres, c’est dire qu’ils naissent et demeurent nus. Mais les hommes naissent nus et vivent habillés, comme ils naissent indépendants et vivent sous les lois. Les habits gênent un peu les mouvements du corps, mais ils le protègent contre les accidents du dehors ; les lois gênent les passions, mais elles défendent l’honneur, la vie et les fortunes. Ainsi pour s’entendre il fallait distinguer entre la liberté et l’indépendance : la liberté consiste à n’obéir qu’aux lois, mais dans cette liberté, le mot obéir s’y trouve, tandis que l’indépendance consiste à vivre dans les forêts sans obéir aux lois et sans reconnaître aucune sorte de frein. On trouve donc étrange et dangereux que l’Assemblée Nationale eût rédigé le code des sauvages… »

 

"Mais un éditeur intelligent publierait une admirable anthologie avec toutes les maximes que Rivarol a nonchalamment semées à travers livres et gazettes et dont certaines, qu’il négligea d’écrire, nous furent transmises par tradition orale. En voici quelques-unes. Et d’abord celle-ci qui ne s’applique pas mal au pauvre Louis XVI : Autrefois les rois portaient le diadème sur le front ; ils l’ont maintenant sur les yeux. Et celle-ci qui fait justice à l’avance de tout ce que l’on peut conter ou croire sur l’ « internationale blanche » : La joie des rois en voyant les malheurs de l’auguste race des Bourbons, et celle de leurs courtisans en voyant la misère des émigrés, a été ineffable. Frédéric disait : « Nous autres, rois du Nord, nous ne sommes que des gentilshommes ; les rois de France sont des grands seigneurs. » Il y en avait bien assez là pour que l’envie attirât la haine, et celle-ci des crimes peut-être… Rivarol avait fort bien compris le jeu de la Prusse et de l’Angleterre et leur influence prépondérante dans le déclenchement de la Révolution. Mais si la lucidité d’un politique se mesure d’abord à l’exactitude de ses prévisions, on connaîtra celle de Rivarol quand on aura lu l’étonnante prophétie que voici. Rappelons que son auteur mourut en 1801 : Il serait plaisant de voir un jour les philosophes et les apostats suivre Bonaparte à la messe en grinçant des dents et les républicains se courber devant lui. Ils avaient pourtant juré de tuer le premier qui ravirait le pouvoir. Il serait plaisant qu’il créât un jour des cordons et qu’il en décorât les rois ; qu’il fit des princes et qu’il s’alliât avec quelque ancienne dynastie… Malheur à lui s’il n’est pas toujours vainqueur !

"Nombreuse est la postérité de Rivarol. Il y a en lui, dit Sainte-Beuve, « le pressentiment d’un grand écrivain novateur tel que Chateaubriand… d’un grand critique et poète tel qu’André Chénier… Il eut aussi en lui le commencement d’un de Maistre. » Mais d’abord procédèrent de lui les grands polémistes. Il annonce Courier par son atticisme, Rochefort par sa verve, Léon Daudet par l’indépendance de son royalisme. Car ce réactionnaire, on l’a vu, n’est pas un courtisan : c’est un gai compagnon qui s’est choisi de joyeux compères et qui bataille avec une belle ardeur contre les imbéciles et les coquins. Il est le maître de tous ceux qui dédaignent les épées mouchetées et les masques prudents. Il enseigne la pensée juste, le style alerte et la joie de combattre.

"Mais s’il faut parfois qu’un polémiste soit « un peu enragé », jamais bouche plus prompte à mordre ne fut plus polie et plus spirituelle que celle de ce causeur étincelant. Homme du dix-huitième siècle, il nous en offre le souriant antidote. Rivarol, c’est le Voltaire de la Contre-Révolution." 

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