Mandela a consacré sa vie à lutter contre le régime raciste de l'apartheid. Après un emprisonnement de 27 ans, suivi d'une période d'âpres négociations suite à sa libération en 1990, il fut largement élu à la présidence de la République d'Afrique du Sud, en avril 1994. Devant un parterre rassemblant presque tous les dirigeants du monde venus pour son inauguration, il étonna par son absence d'amertume en déclarant que :
Le temps de panser les plaies est venu.
Le moment de poser un pont au-dessus des fossés qui nous séparent est venu.
Le temps de construire est arrivé.
(…) Nous avons triomphé dans nos efforts pour implanter l'espoir dans les cœurs de millions de gens de notre peuple. Nous entrons dans un pacte pour construire une société au sein de laquelle tous les Sud-africains, aussi bien Noirs que Blancs, pourront marcher haut, parler sans peur dans leur cœur, assurés qu'ils seront de leur droit inaliénable à la dignité humaine – une Nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et avec le monde.
Conformément à cette promesse, il consacra son mandat à travailler à la réconciliation et promut le Comité pour la Vérité et la Réconciliation, chargé de faire la lumière sur les crimes commis de part et d'autre, avec pouvoir d'accorder l'amnistie à ceux qui diraient toute la vérité.
Car des crimes, il y en eut. Les crimes du régime sont connus, qu'il s'agisse de répressions policières violentes, à partir du massacre de Sharpeville, où plus de soixante manifestants furent tués, ou des enlèvements d'activistes, de leur torture et assassinat. La tuerie de Sharpeville fut l'événement qui, selon Mandela, acheva de le convaincre de la nécessité de la lutte armée.
Le droit à la résistance à l'oppression...
Pour juger de l'action violente de l'ANC, il convient au préalable d'insister sur le concept de "droit à la résistance" et ses conditions. Notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 reprend ce qui est en réalité une ancienne tradition en philosophie politique. Son article II définit les droits naturels :
Article II
"Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression".
La tradition est ancienne. La pensée grecque, en saluant les Tyrannoctones, Harmadios et Aristogiton, par l'érection d'une statue, justifie l'assassinat d'Hipparque, l'un des deux frères Pisistrates, tyrans à Athènes. Mais c'est dans la pensée Catholique que l'on rencontre surtout l'expression du droit à la résistance, mais aussi une réflexion sur ses conditions. Dans cette tradition, le droit de résistance, ou de révolte, doit être apprécié en fonction de la légitimité du pouvoir. L'enseignement traditionnel de l'Eglise de Rome, fondé sur une épître de Saint-Paul, est connu sous le vocable erroné de droit divin des rois. L'apôtre s'exprime ainsi :
"Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par lui. C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que Dieu a établi et ceux qui résistent attireront sur eux-mêmes une condamnation. Car les magistrats ne sont point à redouter pour les bonnes actions, mais pour les mauvaises. Veux-tu ne pas craindre l'autorité ? Fais le bien, et tu auras son approbation; car le prince est pour toi ministre de Dieu pour le bien".
Pourtant l'Eglise enseigne que tous les hommes sont faits à l'image de Dieu, qu'ils sont donc égaux en dignité et que, « sortis du néant issus du même père, sujets aux mêmes infirmités, destinés à la même fin en subissant le même arrêt de l'inévitable mort, il est certain que, par nature, abstraction faite de toute intervention divine dans les choses humaines, nous sommes tous égaux en droit, comme dans notre origine et dans nos destinées ». La conclusion logique, que Duguit exposera dans des termes similaires, est que :
"[A]ucun homme n'a en lui-même le droit de dominer ses semblables ni d'en être obéi".
C'est la nature humaine qui concilie ces deux principes en apparence opposés. L'homme, pour les catholiques, mais suivant en cela la tradition grecque, singulièrement Aristote, est un « animal social » qui ne saurait vivre selon sa nature, ni même développer ses facultés, en dehors de la société. C'est en ce sens que la société est naturelle et que, considérant impossible l'existence d'une société sans gouvernement, celui-ci, étant nécessaire, est de droit naturel. Un théoricien remarquable, Anthony De Jasay notait que, la « nécessité [d'un gouvernement], si elle était prouvée, emporterait l'argument moral. S'il n'était tout simplement pas possible de vivre en société sans soumettre la volonté de quelques-uns à la volonté d'autres, la moralité ne peut exiger qu'ils n'y soient pas soumis ». Jean-Jacques Rousseau, qui n'était pas un innovateur, ne dit guère autre chose dans l'une des premières phrases, les plus fameuses, de son Contrat social : « L'homme est né libre et partout il est dans les fers. (…) Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question ».
Dire que tout pouvoir vient de Dieu signifie donc que l'homme devant, de par sa nature, vivre en société, et la société devant être gouvernée, l'existence d'un pouvoir social, d'une autorité, est d'essence divine. Dieu, contrairement à ce que les théoriciens du droit absolu des rois tentaient de faire accroître, contre la papauté, n'a pas donné immédiatement de droit de commander aux rois, mais médiatement, via le peuple. La forme républicaine ou démocratique est toute aussi valable, la question du meilleur régime dépendra des circonstances particulières.
Le point central pour le droit de résistance, est celui-ci : si Dieu veut une autorité, celle-ci est limitée par son but, qui est d'assurer le Bien commun. Un gouvernement qui s'en écarterait serait injuste et pourrait perdre sa légitimité. Saint Paul précisait : « car le prince est pour toi ministre de Dieu pour le bien. »
« On a le droit de résister à des mauvais prince comme à des brigands » écrivait Saint-Thomas. Il s'agit là d'un principe, d'un droit moral, mais la question est bien plus délicate en raison des risques d'anarchie et de guerre civile qui peuvent résulter d'un manque de discernement. Qui peut juger de l'étendue des injustices propres à faire perdre la légitimité au pouvoir en place ? Des moyens de résistance moralement licites ? Les Français connaissent un exemple fameux de cette thèse, exemple qui a eu pour conséquence de limiter voir de supprimer l'idée du droit de résistance : le jésuite espagnol, Juan de Mariana, dans son De rege et regis institutione publié en 1598, justifie le régicide d'un monarque, sous certaines conditions ; l'assassinat, en 1610 du roi Henri IV fut imputée à l'influence de ces idées.
L'effort des théologiens par la suite, et surtout au XIXème siècle consista à clarifier les limites jugées indispensables, sans que le principe ne soit remis en cause. L'abbé Jacques Leclercq résume les conditions de la résistan,ce : celle-ci doit être nécessaire, utile, et être proportionnée.
La nécessité implique d'abord que les moyens légaux ne soient d'aucun secours pour redresser une injustice. L'Afrique du Sud était alors formellement une démocratie parlementaire avec une opposition, et un Etat de droit ? Une démocratie raciale certes, avec le droit de vote réservé à la seule minorité blanche, et s'enfonçant toujours davantage vers le totalitarisme. Il était concevable que l'opposition parlementaire, ou l'opinion publique blanche puisse être convaincue de l'illégitimité de l'apartheid. Si les premières lois raciales furent adoptées par le colonisateur britannique, puis, dans les années 1920 et 1930 sous la pression violente des syndicats ouvriers blancs et du parti travailliste, ce n'est qu'en 1948 que le Parti National afrikaner gagna de peu les élections sur le programme d'apartheid. D'élections en élections la majorité grandissait et débordait l'électorat Afrikaner, mais la radicalisation de l'opposition à l'apartheid a pu contribuer à la radicalisation de l'électorat blanc. Strictement, si l'on ne peut pas dire que les moyens légaux étaient impossibles, l'on peut raisonnablement estimer que les chances du succès étaient faibles, compte tenu de l'enjeu.
Mais pour que la nécessité justifie la résistance, encore faut-il justifier l'exercice de certains moyens. Si, au-delà des moyens légaux, des solutions non-violentes sont possibles, qu'il s'agisse de grèves, de boycotts, de renforcement de la conscience politique des Noirs, la doctrine catholique n'admet pas le recours à la violence. Il est particulièrement difficile pour un observateur extérieur de décider si la non-violence pouvait réussir. Mandela et l'ANC après Sharpeville estimèrent que non. La majorité des leaders d'opinion Noirs pensait au contraire que la voie pacifique était toujours ouverte. Kaizer Matanzima par exemple, voyait dans les bantoustans la possibilité de libérer les Noirs. Il était un neveu de Mandela, issu de la famille Thembu, et devint premier ministre du bantoustan du Transkei. De même, le chef zoulou Mangosuthu Buthelesi, à la tête de l'Inkatha Freedom Party qu'il fonda en 1975, se sera toujours opposé à la violence.
L'utilité s'entend comme étant une chance raisonnable de succès, ou la capacité des rebelles à rétablir un ordre juste là où le pouvoir, en violant la justice, créait du désordre. Cela signifie surtout que des conditions pires ne doivent pas remplacer l'injustice présente. « Les actes révolutionnaires deviennent illégitimes lorsqu'ils se font avec tant de désordre qu'ils entraînent pour le pays plus de dommages que la tyrannie elle-même ». Les conditions physiques de l'Afrique du Sud, de l'aveu des partisans de l'ANC, interdisaient tout succès militaire lors d'un soulèvement face à l'armée. C'est la raison pour laquelle une autre stratégie a été adoptée, stratégie qui reposait sur le chaos et l'ingouvernabilité du pays.
Enfin, la proportionnalité consiste à maintenir une proportion entre la gravité du désordre et l'importance des moyens employés.
… et la guerre révolutionnaire
A la suite d'autres mouvements nationalistes, et après la tuerie de Sharpeville, surmontant d'importantes divisions au sein de l'ANC, Mandela sut convaincre l'organisation de se lancer dans la lutte armée, d'organiser des campagnes de sabotage et de poser des bombes dans des endroits symbolisant le pouvoir. Umkhonto we Sizwe fut alors formée, entreprise commune entre l'ANC et le parti communiste sud-africain, le SACP.
Mais l'ANC avait été interdite par le pouvoir suite à son rôle dans la manifestation de Sharpeville, et la police a eu finalement raison du « mouton noir » (« Black Pimpernel », surnom inspiré du « Scarlett Pimpernel » de la baronne Orkzy), Mandela, qui fut capturé, jugé et emprisonné d'abord pour des actes mineurs comme d'avoir quitté sans autorisation le territoire. Après la découverte du complot de Rivonia, Mandela fut rejugé et cette fois condamné à la prison à vie. L'on ne peut qu'admirer les derniers mots que prononça le condamné, regardant ses juges après avoir lu plus de cinq heures durant un discours condamnant le régime en place :
"Ma vie durant je me suis consacré à cette lutte du peuple africain. J'ai combattu la domination blanche, et j'ai combattu la domination noire. J'ai chéri l'idéal d'une société démocratique et libre, dans laquelle toutes les personnes peuvent vivre en harmonie et avec des opportunités égales. C'est un idéal pour lequel j'espère vivre et que j'espère réaliser. Mais s'il le faut, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir".
Influencé par le communisme et l'expérience de Fidel Castro à Cuba, Mandela et ses amis pensaient pouvoir abattre facilement le régime. Il n'en fut rien et en peu d'années, l'ANC avait quasiment disparu de l'opinion africaine. L'Occident refusait de soutenir ce mouvement communiste et prônant la violence, mais l'Union soviétique, en plus des affinités idéologiques, désirait renverser un régime allié à l'Ouest, contrôlant de vastes ressources minières et des routes maritimes.
L'ANC était surtout présente à l'étranger, en exil, et bénéficiait, outre l'aide de l'URSS, de camps d'entraînement au sein desquels, d'ailleurs, les violations des droits, tortures et exécutions sommaires contre les recrues contestant la ligne ou se plaignant des conditions, étaient monnaie courante - surtout après l'afflux d'étudiants de la mouvance Black Consciousness ayant dû fuir le pays. En Afrique du Sud cependant elle était devenue largement absente de la scène depuis 1963 et les succès policiers. Les mouvements tout différents du Black Consciousness de Steven Biko, inspiré de la théologie de la libération version « noire » développée aux USA, et le mouvement Inkatha de Buthelezi, dominaient largement la scène. Malgré le développement du militantisme auprès des jeunes, le gouvernement persista dans l'imposition de l'Afrikans comme langue d'enseignement. La révolte inspirée par le mouvement de Biko, à Soweto, en 1976, prit le gouvernement et l'ANC au dépourvu. Le gouvernement intensifia la répression dans l'année, mais l'ANC comprit qu'une révolte d'ampleur était possible et, profitant d'une masse de jeunes devant fuir la police, intensifia sa politique de recrutement, notamment pour sa branche armée Umkhonto we Sizwe.
Un voyage d'études au Vietnam
Dans la seconde moitié des années 1970 fut donc décidée une nouvelle stratégie, inspirée de la toute récente guerre du Vietnam : la « guerre révolutionnaire » ou encore, « guerre populaire », « guerre du peuple ». L'URSS de son côté amplifia ses livraisons d'armes dès décembre 1976 et l'ANC se concentra sur les relations internationales pour se faire reconnaître, par l'Internationale socialiste d'abord, en 1977, puis en 1978 par la Finlande, l'Irlande, la Norvège et la Suède, comme « seule représentant authentique » du peuple sud-africain. Pourtant, même au sommet de sa popularité en 1978, Mandela, avec 24 % de soutiens auprès des Africains de Soweto, Durban et Pretoria, était loin derrière Buthelezi qui recueillait 43 % des soutiens.
Les cadres de l'ANC, dont Thabo Mbeki, futur premier vice-président sous Mandela, puis son successeur, firent le voyage du Vietnam pour apprendre d'Ho-Chi-Min et du général Giap les principes de la guerre révolutionnaire. Mandela était emprisonné à cette époque mais lui-même aurait bénéficié, au début des années 1960, d'un entraînement, certainement moins systématique, en Ethiopie puis en Algérie auprès de l'Armée de Libération Nationale. Ce dernier souvenir lui aurait fait dire lors d'une visite à Alger deux mois après sa libération : « C'est l'Algérie qui a fait de moi un homme. » Les méthodes du FLN algérien n'étaient pas éloignées des méthodes du FLN vietnamien.
La guerre du peuple n'est pas un combat militaire classique, ni même une simple action de guérilla, mais un effort d'organisation et d'opérations de communication, décidément non conventionnelles : le peuple y devient l'instrument principal. Ses deux aspects sont la « lutte politique » et « le programme de violence » qui doivent prendre en étaux les adversaires, et où la distinction entre civils et militaire n'existe plus. Toute personne pouvant servir la cause est une ressource utilisable, pouvant être sacrifiée, dépensée, qu'il s'agisse d'adultes ou d'enfants. Les enfants particulièrement étaient utiles car, utilisés comme agents ils pouvaient plus facilement déjouer la surveillance et prenaient davantage de risques, et en tant que victimes, avaient une grande valeur pour la propagande et la mobilisation.
La version vietnamienne distinguait deux phases de préparation et trois phases de combat. La préparation consistait d'abord en une guerre psychologique pour laquelle l'agitation devait permettre d'engranger des soutiens et de créer une base, en mettant l'accent sur les injustices bien trop réelles. Ensuite, il s'agissait d'organiser des unités propres à se lancer dans la « propagande armée », dans un réseau de cellules clandestines. Cette propagande armée devait, par la visibilité des attaques, donner une meilleure publicité au mouvement et gagner des adhérents.
Les trois phases de combat comprennent une phase dite « défensive », une phase de guérilla (mobile warfare) ou de guerre de mouvement, suivi de l'assaut final ou, de l'acceptation d'une négociation d'un règlement. La phase « défensive » est également liée au renforcement de l'organisation, mais par la création de mouvements légaux ou le noyautage de mouvements existant, afin de multiplier les « mouvements de libérations » liés au sein d'une organisation plus large, un front uni. Il s'agit également de prendre le contrôle de « lieux libérés » au sein desquels l'organisation révolutionnaire installe ses institutions facilitant l'intimidation et le recrutement.
La guerre de mouvement se fera par la multiplication des attaques, visant à porter à bout les capacités de déploiement des adversaires. Ces attaques, bien planifiées, relèvent de la terreur, avec des assassinats ciblés, visant les notables, les hommes modérés et chefs traditionnels, mais également les rivaux. Il s'agit de créer un climat d'insécurité, de préparer des guets-apens contre les forces de l'ordre en les obligeant à intervenir pour protéger les civils innocents afin de les piéger.
La phase finale peut être l'assaut général, ou l'acceptation d'une négociation pour la création d'un gouvernement de coalition au sein duquel on se sera assuré des conditions les plus favorables, propres à permettre, par la suite, de prendre une position hégémonique.
C'est cette ligne, apprise au Vietnam, qui sera codifiée avec les adaptations nécessaires à la situation sud-africaine, par l'ANC/SACP, « l'alliance révolutionnaire » dans un « livre vert », dont le titre devait rappeler un ouvrage récent publié par le colonel Kadhafi en Libye.
L'application de la guerre révolutionnaire en Afrique du Sud
Les mots « lutte armée » sont des euphémismes. Les éléments de la guerre révolutionnaire furent mis en œuvre et l'ANC consacra les années 1980 à 1983 à sa préparation, renforçant ses cellules clandestines, créant et noyautant de multiples organisations légales, dont des organisations étudiantes, syndicales, politiques, comme l'United Democratic Front (UDF) créé en 1983. La « propagande armée » débuta par des séries d'attaques spectaculaires à la bombe, dont une attaque contre la centrale nucléaire près du Cap (qui réussit à retarder d'une année sa mise en service). La plupart des attaques à la bombe eurent cependant lieu au Natal, fief de l'Inkatha.
Il fallait populariser l'ANC. Deux vecteurs furent choisis. L'ANC avait, 25 ans plus tôt, rédigé une Charte des libertés, document largement oublié et prônant le vote égal pour tous, la fin des discriminations et la redistribution des terres. Aussi, même si l'organisation avait radicalement changé, l'ANC décréta l'année 1980 « année de la Charte », mobilisa ses membres, et diffusa massivement le document. Comme bien des mouvements de libérations en Afrique, les slogans furent largement utilisés pour l'embrigadement des masses et des militants.
Toujours afin de souligner l'ancienneté de l'engagement de l'ANC dans la lutte contre l'apartheid, des comités de libération de Nelson Mandela, alors emprisonné depuis 18 ans, furent formés, et permirent de mettre en avant son nom et son sacrifice pour la cause. Des campagnes furent menées et des pétitions soumises au gouvernement qui, se bornant à rappeler que la condamnation avait été décidée selon les règles de la justice, pu être dénoncé comme intransigeant.
Cette campagne eu un échos international, avec notamment l'aide active de l'URSS et, sur ce terrain, l'ANC chercha à obtenir des sanctions contre l'Afrique du Sud, contre l'avis majoritaire de la population noire et de leaders comme Buthelesi, ou d'opposants blancs comme le romancier Alan Paton. Vers le milieu des années 1980, grâce à ses donateurs internationaux qui, outre l'URSS incluaient les pays scandinaves et certaines organisations internationales, des organisations non gouvernementales comme Oxfam, l'ANC avait un budget annuel de 100 millions de dollars pour ses actions.
Les détails de la campagne de terreur qui suivit, après son démarrage en 1984 et son accélération à partir de 1985, sont trop nombreux et trop longs à décrire ; seules quelques grandes lignes et illustrations, pour mieux faire comprendre la réalité de l'horreur, seront données ci-après.
La conférence ANC/SACP de Kabwe, en Zambie, en réalité préparée par une conférence antérieure à Moscou, décida de l'intensification de la guerre populaire, et officialisa la fin de la distinction entre cibles civiles et militaires et recommanda l'utilisation de « toutes formes et méthodes de lutte ». L'objectif défini était de « rendre l'Afrique du Sud ingouvernable », expression dont la paternité est attribuée à Thabo Mbeki, membre du comité central. On y trouve des boycotts scolaires, privant deux générations de toute scolarité (en comprenant les enfants nés de la première génération active ou contrainte), la création de zones libérées, l'élimination des rivaux - dont les membres du parti de la mouvance Black Consciousness, Azapo, pourtant idéologiquement proche-, et surtout des sympathisants de l'Inkatha, tués par milliers. On comptera vers 1994, l'assassinat, dans de véritables embuscades, de plus de 420 cadres du mouvement. Devant l'indifférence face à ces crimes, Buthelesi ne pouvait que se lamenter de l'indifférence des médias en donnant à la presse une liste de nom des cadres tués, en avril 1993 : « Je me sens amer, très amer maintenant, du fait qu'alors que tant de membres de notre peuple ont été tués, cela est sans conséquence. »
Mais ce sont les méthodes d'une brutalité inouïe qu'il faut évoquer. L'une des cibles, outre les policiers noirs et leur famille, étaient les conseillers municipaux des townships. Ceux-ci étaient intimés de démissionner, et en cas de refus, attaqués, leurs maisons brûlées avec des cocktails Molotov, les membres des familles tués avec les conseillers. Un exemple illustre l'horreur de cette guerre : Kinikini était le seul conseiller de KwaNobuhle à ne pas avoir démissionné comme ordonné. Sa maison fut alors attaquée par une foule à coup de cocktails Molotov. Il se trouvait avec ses deux enfants, Silumko et Kwala ainsi que deux neveux. Silumko et ses cousins tentèrent de s'enfuir mais furent pris par la foule, hachés à demi-morts, arrosés d'essence et brûlés vifs. Voulant éviter à son second fils, alors âgé de 12 ans, Kwala, de connaître le même sort que son frère, Kinikini prit une arme et le tua, avant d'être pris à son tour, tailladé puis brûlé vif. Ces violences étaient alors justifiés par un leader de l'UDF qui expliquait que ces conseillers noirs pratiquent une forme subtile de violence contre leur peuple et sont en réalité des « petits Vorsters et Bothas à la peau noire ». Il ne s'agissait pas, loin de là, d'un acte isolé, mais d'une action systématique, et les enfants n'étaient pas épargnés.
De même, pour assurer le succès des boycotts ou des grèves, lorsqu'un mot d'ordre était lancé par une organisation de l'ANC, les bus étaient contrôlés aux arrêts, les travailleurs qui descendaient passés à tabac, les commerces ouverts incendiés. Des professeurs ou directeurs d'écoles furent lapidés. Des tueries étaient faites au hasard, des grenades artisanales lancées dans les cafés par exemple, pour assurer un climat de terreur.
Des guets-apens étaient aussi montés pour attaquer la police, dorénavant équipée de fusils à balles réelles : des barricades préparées, des fossés pour y faire tomber les véhicules (les casspirs), et alors, pour attirer les forces de l'ordre, des attaques étaient organisées dans les townships. La police était ainsi forcée d'intervenir pour tenter de protéger la vie et les biens des civils noirs, victimes innocentes. Mais la police était alors accusée de provocation, du seul fait de sa présence dans les citées noires.
Les assassinats par inflammation de pneus arrosés d'essence et placés autours des victimes étaient courants, les victimes étant accusés d'être des collaborateurs pour justifier ces monstruosités.
Ce sont souvent les jeunes, adolescents et jeunes adultes, qui furent utilisés pour perpétrer ces violences. La propagande les célébrait comme les « young lions ». Une tentative de la part des adultes, des anciens, de refréner leur violence, échoua misérablement.
Les journalistes africains dans les townships, s'ils ne sympathisaient pas, se voyaient contraint de se taire pour protéger leur vie. Les jeunes membres de ces gangs qu'on envoyait étaient si crains qu'il leur suffisait parfois de montrer une boîte d'allumette pour s'assurer du suivi d'un mot d'ordre. Ce n'est pas sans raison que les Etats-Unis inscrivirent l'ANC parmi les organisations terroristes, sous la présidence de Ronald Reagan avant d'en être retirée, en 2008, sous la présidence de George W. Bush.
Il fallait rendre ingouvernable l'Afrique du Sud, créer un climat de terreur et faire comprendre à la population noire qu'il était de son intérêt de se ranger derrière le vainqueur, qui ne saurait être autre que l'ANC. L'état de siège décrété alors par les autorités, les opérations de police, voire de l'armée, ont permis de circonscrire les émeutes dans les banlieues noires du Cap, du Natal et du Rand.
La libération de Nelson Mandela
Dès 1985 le président Pieter W. Botha entrepris de démanteler, petit à petit, l'apartheid, jugeant que les Blancs devaient « s'adapter ou mourir ». Mais il voulait imposer son rythme et obtenir les meilleures garanties pour la minorité blanche. La même année il proposa à Nelson Mandela sa libération sous la condition qu'il appelle publiquement à l'arrêt de la violence avant de renoncer définitivement à la politique. La presse a abondamment souligné le refus héroïque de Mandela, préférant rester fidèle à son combat que de recouvrer la liberté ainsi proposée. Deux aspects méritent pourtant d'être soulignés : il s'agissait d'une décision collective de l'ANC et de Mandela : un Mandela en prison, martyr pour la cause, avait davantage de prix pour l'ANC qu'un Mandela libre. Aussi, Mandela ne voulait pas renoncer à la violence. Un plan proposé par Margaret Thatcher prévoyait la libération de Mandela, la légalisation de l'ANC, l'arrêt des violence et des négociation entre tous les acteurs. Une tournée de Thatcher en Afrique du Sud permit d'engranger le soutien des principaux dirigeants. L'ANC cependant refusa, voulant, conformément aux enseignements vietnamiens, faire des négociations un train de lutte additionnel devant servir la cause révolutionnaire, et voulant être en position d'en dicter les termes.
Peu après le changement à la présidence du pays, consécutivement à la constatation de l'incapacité pour cause de santé de P. W. Botha en 1989, Frederik De Klerk rencontra Mandela et le fit libérer sans condition, le 11 février 1990.
Le discours que Mandela prononça à cette occasion, lors d'un rassemblement à Cap Town, fut une profonde déception. Il dit entre autre:
"Je salue le Parti communiste sud-africain pour sa contribution toujours excellente à la lutte pour la démocratie. Vous avez survécu 40 ans d'une persécution sans répit (…) Je salue son Secrétaire général Joe Slovo, l'un de nos plus grands patriotes. Nous sommes encouragés par le fait que notre alliance avec le Parti demeure aussi forte qu'elle l'a toujours été. (…) Le recours à la lutte armée en 1960, avec la formation de l'aile militaire de l'ANC, Umkhonto we Sizwe, était une action purement défensive contre la violence de l'apartheid. Les facteurs ayant nécessité la lutte armée existent toujours encore aujourd'hui. Nous n'avons d'autre choix que de continuer. Nous exprimons l'espoir qu'un climat propre à conduire à un accord négocié pourra être créé prochainement afin qu'il n'y ait plus besoin de la lutte armée".
"Je suis un membre loyal et discipliné du Congrès National Africain. Je suis par conséquent en total accord avec ses objectifs, stratégies et tactiques".
L'année 1990 fut l'occasion d'un « nouvel élan » pour la guerre populaire. Parmi les objectifs il fallait écarter les rivaux, notamment les partisans d'un fédéralisme qui s'étaient alliés de l'Inkatha aux gouvernements des bantoustans autonomes ou indépendants. L'ANC voulait négocier seule avec De Klerk, et la négociation pour le Congrès signifiait former un gouvernement transitoire et faire élire une assemblée constituante par tous les citoyens selon le principe one man one vote. Il fallait donc faire monter la pression et durant cette période de transition et de négociation, les affrontements, attaques et assassinats continuèrent. A chaque fois l'ANC sut faire porter le blâme sur le gouvernement ou sur l'Inkatha accusée du travailler pour lui et de vouloir semer le trouble. L'Inkatha a cependant toujours été opposée à la guerre révolutionnaire et était victime des campagnes de terreur de l'ANC, mais ces Zoulous non seulement se défendaient mais se lançaient dans des attaques punitives. La presse anglophone sud-africaine et la presse internationale relayaient promptement les accusations de l'ANC, sans esprit critique, malgré les enquêtes de différentes commissions. Des propos tels ceux de Tokyo Sexwale, l'un des plus importants dirigeants de l'ANC, tenus en mai 1993 devant une foule enthousiaste de 9.000 personnes n'attira guère l'attention et aucune condamnation :
"Nous continuerons de tuer ceux que nous voulons tuer, qu'ils soient de l'Inkatha ou de la police importe peu".
L'une des nombreuses tueries qui fit la une fut l’œuvre des forces de police du Ciskei, le massacre de Bisho. Les Bantoustans étaient une cible politique de l'alliance révolutionnaire ANC/SACP et une clef pour les négociations, afin d'empêcher toute solution fédérale. Le 7 septembre 1992 une troupe forte de 50.000 manifestants fut rassemblée près de la ville et débuta sa marche, aiguillonnée par les slogans traitant le chef du Ciskei, le général Gqozo, entre autres de chien. La foule fut conduite vers Bisho malgré l'interdiction et les avertissements préalables selon lesquels la police ouvrirait le feu. Sur place, guidée par un véhicule transportant des officiels de l'ANC, elle trouva une voie par le stade sportif pour entrer dans la capitale contournant les barricades et barbelés. Une force de police locale de 50 hommes ouvrit le feu à balles réelles et sans sommation, tuant 29 personnes et en blessant 300 autres. L'ANC, et Mandela en particulier, blâmèrent de Klerk. Il s'avéra cependant que la confrontation était recherchée et prémédité, et que la police n'ouvrit le feu qu'après la mort de l'un des leurs. Le juge Pickard, chargé de l'enquête, critiqua sévèrement la réaction disproportionnée de la police mais estima que les premiers tirs étaient justifiés, et surtout, que la foule, ignorant les risques, avait délibérément été lancée par la direction de l'ANC. Cette tactique entre parfaitement dans le cadre de la « guerre du peuple », celui-ci étant une arme d'attaque et de propagande peut être sacrifié. La commission Goldstone conclut de façon similaire.
Le rôle de Mande
Il est difficile d'apprécier justement le rôle de Mandela. Emprisonné depuis 1963 il n'a pas pu participer à la planification des attaques et à l'élaboration de la stratégie monstrueuse de la guerre populaire. Il était d'abord en isolement. Mais pouvait-il ignorer la situation ? Qu'en pensait-il ? Le début réel de cette guerre date de 1985, année où on lui proposa sa libération. C'est l'une de ses filles qui annonça au monde son refus. Mandela se vante d'avoir pu déjouer la surveillance et avoir des contacts avec ses compagnons de lutte. Afin de renforcer les structures à l'intérieur du pays, et surtout les communications, l'opération Vulindlela, ou Vula, fut montée et activée en 1988. La partie communication reposait sur des technologies sophistiquées de codage, entre Tambo et Slovo à l'étranger et Maharaj en Afrique du Sud. Ce dernier était en contact avec Mandela emprisonné, transmettant des messages et recevant ses réponses grâce à des livres possédant des compartiments secrets. Mandela était ainsi en communication avec les chefs en exil. De plus, à partir de décembre Mandela fut transféré près de Paarl et disposa d'un cottage où il pouvait recevoir librement des visites et conférer avec les chefs politiques de l'UDF ou autres en Afrique du Sud.
On peut imaginer, ou espérer, que, alors en prison, il comprit petit à petit les limites de la violence, comprit la peur des Blancs face à un pouvoir noir et fut, une fois libéré, un artisan essentiel auprès de son parti pour l'abandon de la violence, officialisé par l'accord dit du Pretoria Minute du 6 août 1990. Mais il menaça De Klerk de cesser les pourparlers et d'envisager « d'autres options » si les négociations n'aboutissaient pas à la solution d'un gouvernement intérimaire.
Les violences n'ont d'ailleurs pas cessé, ni les livraisons d'armes à l'ANC, comme le démontra plus tard, à la stupéfaction de De Klerk, la découverte de l'opération Vula. Ce sentiment de trahison ou de double-jeu peut expliquer la visible acrimonie entre De Klerk et Mandela, lors de la remise de prix Nobel de la paix, à Oslo en 1993. Les principaux ministres du gouvernement reconnaissaient être médusés par le double langage de Mandela, si différent en privé et en public. Magnus Malan s'exclama :
"M. Mandela est en effet un homme à plusieurs langues, et il est temps pour lui de parler un seul langage et qu'il dise ce qu'il pense réellement".
Comme le souligne Anthea Jeffery, l'ANC avait au fil des ans développé un réseau au sein de la société civile, dans la presse locale et internationale, et de nombreuses sympathie dans bien des ambassades étrangères et organisations internationales. Avec l'aura de Mandela, il y avait peu de risque qu'elle fut pointée du doigt pour les violences, et que sa réputation fut mise en cause.
L'ANC profita ainsi du discrédit et de l'élimination de toute opposition, et su imposer la plupart de ses volontés au gouvernement et gouverne maintenant sans partage, sûre, selon les mots du président actuel, Jacob Zuma, ancien chef des renseignements de l'ANC en exil à Maputo, de rester au pouvoir jusqu'au nouvel avènement de Jésus Christ.
Mandela n'est pas celui qui a mis fin à l'apartheid comme on peut l'entendre souvent, même si la situation insurrectionnelle avait fini par faire douter le gouvernement sur les réponses à apporter. La transition, fut loin d'être pacifique. Plus de 15.000 personnes furent tuées depuis février 1990, dont plus de 1.500 assassinats politiques durant les premiers mois de 1994.
Certes, Mandela lutta contre ce régime, donna 27 ans de sa vie pour la cause. Dès 1985 le président Botha entreprit de démanteler, de façon contrôlée, l'apartheid, e,t, sous la pression accéléra les contacts, négocia secrètement avec Mandela en Afrique du Sud et Mbeki en Angleterre.
Profitant de la situation géopolitique avec la Glasnost en Union soviétique et de l'ouverture de De Klerk, Margaret Thatcher proposa, au printemps 1989, un plan prévoyant la libération de Mandela, la légalisation de l'ANC, l'arrêt des violence et des négociation entre tous les acteurs y incluant Buthelesi. L'objectif était de négocier une nouvelle constitution avec droit de vote universel mais aussi garanties des droits et procédure permettant aux minorité une participation. Une tournée de Thatcher en Afrique du Sud au mois d'avril, permit d'engranger des soutiens des principaux dirigeants. L'ANC cependant refusa, voulant, conformément aux enseignements vietnamiens, faire des négociations un train de lutte additionnel devant servir la cause révolutionnaire, et voulant être en position d'en dicter les termes.
De Klerk, élu chef du Parti National après la démission de Botha pour raisons de santé, s'engagea résolument en faveur du démantèlement de l'apartheid. Mais surtout, en 1989, un événement géopolitique bouleversa le monde : le communisme s'écroula presque partout, le mur de Berlin fut abattu, et seuls quelques bastions allaient rester dans l'orbite totalitaire, Cuba et la Corée du Nord. En URSS, sous Gorbatchev, la Glasnost avait déjà été entreprise. Les enjeux pour le pouvoir et la population blanche changeaient et le risque jusqu'alors réel d'une Afrique du Sud connaissant un sort voisin de la Rhodésie s'éloigna. De Klerk, devenu président, entreprit une révision complète des perspectives d'avenir et s'engagea alors totalement vers la libéralisation, avec l'appui, donné par un « oui » au référendum du 17 mars 1992, de l'électorat blanc, véritable vote de confiance.
La présidence de Mandela
Elu au poste suprême en avril 1994, Mandela prononça à l'occasion de son investiture un discours de réconciliation et d'harmonie et su donner confiance à la majorité des Blancs qui avaient, deux ans plus tôt, décidé, par référendum, la fin de l'apartheid. Il consacra son unique mandat à la réconciliation et créa la commission Vérité et Réconciliation visant à établir la lumière sur les crimes commis dans le passé avec possibilité d'une amnistie pour ceux qui dévoileraient la complète vérité sur leur rôle.
En 1980, au nord de l'Afrique du Sud, dans l'ancienne Rhodésie devenue le Zimbabwe, Robert Mugabe devenu premier ministre prononça la veille de la proclamation de l'indépendance de son pays ces mots s'adressant aux Blancs :
"Si je vous combattais hier en ennemis, aujourd'hui vous êtes devenus des amis et des alliés avec le même intérêt national, loyauté, droits et devoirs que moi-même. (…) Les fautes du passé doivent maintenant être pardonnées et oubliées. Si jamais nos regardons le passé, faisons-le pour voir la leçon qu'il nous aura appris, c'est à dire que l'oppression et le racisme sont des inégalités qui ne doivent plus jamais trouver de place dans notre système politique. Le fait que les Blancs nous ont oppressés hier alors qu'ils avaient le pouvoir ne sera jamais une justification correcte pour une oppression du fait des Noirs maintenant au pouvoir. Le mal demeure le mal, qu'il soit pratiqué par un Blanc envers un Noir ou un Noir contre un Blanc".
Trente-trois ans plus tard, Mugabe est toujours au pouvoir, les dignitaires de son parti plus riches que jamais, plus de 200.000 Blancs partis, plus de 4 millions de Noirs vivent hors du pays pour pouvoir survivre, et le pays est plus pauvre que jamais. Le taux de chômage est de 80 % et l'espérance de vie a chuté à 38 ans l'année des 83 ans du dictateur.
Nelson Mandela n'a voulu faire qu'un mandat. Son renoncement peut être salué et Mandela sut s'élever et œuvrer pour le Bien une fois élu. Mais il est difficile de voir en lui une « conscience morale », ni un apôtre de la non-violence à la Gandhi comme on peut le lire trop souvent. Certaines déclarations qu'il a faites depuis sa libération nous montrent un Mandela toujours amis des tyrans pourvu que ceux-ci aient été un soutien de l'ANC, faisant l'éloge de Fidel Castro, de Khadafi ou encore d'Arafat, sans condamner les violations massives des droits de l'homme dans ces pays. Ironiquement, compte tenu de sa position en faveur de sanctions économiques contre l'Afrique du Sud, lors d'un voyage en Libye, Mandela dit qu'il était de son devoir de soutenir son « frère dirigeant », surtout pour la levée des sanctions affectant les masses ordinaires du peuple : « Nous ne pouvons pas ne pas être émus de la souffrance de nos frères et sœurs africains ». Durant sa présidence il continua de rechercher à développer des liens avec les régimes cubain et libyen, au grand dam pour l'investissement occidental en Afrique du Sud. Robert Mugabe, en revanche, ne bénéficia pas de la même sympathie et Mandela, à plusieurs reprise, critiqua l'absence de leadership dans ce pays, ou invita le dictateur à se retirer.
D'autres déclarations ne sont pas très dignes d'une « conscience morale » et sont tout simplement mesquines, comme d'accuser George W. Bush de racisme à cause de sa volonté d'agir en Irak sans l'aval de l'ONU, ou de traiter Tony Blair de ministre des affaires étrangères des Etats-Unis.
Mandela est mort à l'âge de 95 ans, après avoir consacré sa vie à la lutte contre l'apartheid. Le lecteur pourra se faire un début d'opinion sur le fait de savoir si le droit à la révolte était justifié, surtout tel qu'il fut pratiqué, et si c'est la révolte qui a obtenu le renversement de ce régime. Mais, après son élection à la présidence d'une nouvelle Afrique du Sud, Mandela a incontestablement consacré ses forces à la réconciliation. Si l'on croit en la rédemption, et s'il regrette les crimes commis par son organisation, admirons Mandela d'avoir su s'élever, mais restons aussi lucide que lui sur sa personne.
Il n'est donc pas exactement celui qui, comme l'a dit Barack Obama lors de la cérémonie du 10 décembre en sa mémoire, « a libéré le prisonnier », mais cette réserve posée, les mots du président américains touchent la vérité :
"Il a fallu un homme tel que Madiba pour libérer non seulement le prisonnier, mais également le geôlier, pour montrer qu'il faut faire confiance en l'autre pour qu'il puisse vous faire confiance ; pour enseigner que la réconciliation n'est pas ignorer le passé, mais un moyen de le confronter en y ajoutant générosité et vérité. Il a changé les lois, il a aussi changé les cœurs".
Olivier Braun
NOTES